Laurend Aurélien est né à Brooklyn, un des cinq arrondissements qui composent la ville de New York. D’origine haïtienne, sa famille est déménagée au Canada alors qu’il avait 11 ans. Ce changement a été difficile pour le garçon. En raison de l’hiver québécois? « Pas tant, répond Laurend. J’avais fait jusque-là mon éducation dans le système français et ce que j’ai trouvé difficile à accepter, c’est d’avoir été rétrogradé en 5e année, deux ans en arrière. Je me suis retrouvé en classe d’adaptation et j’ai perdu ma motivation ». Heureusement, le programme sport-études, le soccer et le basket le gardent sur les bancs d’école, mais vers la fin vers la fin du secondaire, Laurend avoue avoir eu de mauvaises fréquentations jusqu’à ce qu’il soit exclu pour manque d’assiduité.
Un premier métier : vendeur Après avoir obtenu ses équivalences à l’école des adultes, il commence un programme en mécanique auto, qu’il abandonne vite, par manque d’intérêt. Il se retrouve alors à enchaîner les emplois en passant par une agence de placement.
À 22 ans, il s’inscrit à la formation en vente-conseil et représentation au Centre de formation professionnelle des Patriotes, à Sainte-Julie. L’obtention de ce DEP est positive pour le jeune homme : « J’étais à la base un gars gêné, et j’ai gagné en confiance en moi, en professionnalisme. » Laurend travaille par la suite comme vendeur à la commission pendant quelques années chez des concessionnaires et chez Rogers.
L'expérience dans l'Ouest En 2014, le jeune homme tente sa chance en Alberta, mais la baisse brutale du prix du pétrole ne lui permet pas de concrétiser ses rêves d’emplois là-bas. Il décroche du travail chez des concessionnaires, en vente en télécommunication ainsi qu’en transport et livraison : « J’avais des jobs, mais rien de vraiment stable ni de passionnant », dit-il. À son retour, il doit des impôts au gouvernement du Québec et ces dettes lui pèsent. « Mes parents étaient inquiets, ils se demandaient comment j’allais m’en sortir », raconte-t-il.
Un apprenti ferrailleur gagne, en moyenne, 38 010 $ par année. Un compagnon travaillant plus de 500 heures gagne, en moyenne, 84 772 $ par année
Faire le point et retourner aux études Décidé à se prendre en main, et avec le soutien de Carrefour Jeunesse Emploi, Laurend rencontre un conseiller en orientation qui lui présente différents métiers, dont celui de poseur d’armature de béton. Laurend n’en avait jamais entendu parler, mais la formation est courte, six mois, et les conditions d’emploi et de salaire sont intéressantes. « Je me suis dit: pourquoi pas, je vais l’essayer et je me suis inscrit pour la rentrée de l’automne 2017. »
Le DEP en Pose d'armature du béton Le DEP en Pose d’armature de béton est d’une durée de 735 heures. « Ces six mois ont tout changé, » témoigne Laurend. Au cours de son apprentissage effectué au Centre de formation des métiers de l'acier, dans l’arrondissement d’Anjou, à Montréal, il a acquis les habiletés nécessaires pour installer l’armature des dalles, des poutres, des murs, des assises, des escaliers, des colonnes, des éléments de post-tension; il a aussi eu l’occasion de s’entraîner à ériger une structure d’armature en acier soudable; à fabriquer des pièces d’armature; à respecter des techniques de manutention et les règles de santé et de sécurité. « C’est une formation complète qui prépare bien au marché du travail, » commente-t-il.
Le squelette du bâtiment Les ferrailleuses et les ferrailleurs installent des barres et des treillis en acier ou tout autre matériau similaire pour renforcer le béton utilisé pour la construction de murs, de colonnes, de dalles et d’escaliers. Ils assemblent des éléments préfabriqués, attachent les barres d’armature et les treillis, plient et soudent de l’acier d’armature et installent des jointures mécaniques, des ancrages et des goujons. « Nous intervenons à l’étape du squelette du bâtiment, explique Laurend. Le métier n’est pas routinier, on profite de vues extraordinaires, mais en même temps, il y a l’hiver, les engelures, etc. Par chance, on est bien équipé. »
Perspectives salariales Un apprenti ferrailleur gagne, en moyenne, 38 010 $ par année. Un compagnon travaillant plus de 500 heures gagne, en moyenne, 84 772 $ par année[1] . C’est un métier de la construction qui requiert une bonne endurance physique, car il exige de travailler dans des postures souvent inconfortables. Il faut être capable de déplacer des objets lourds, d’exécuter des gestes répétitifs et de travailler en hauteur. La majorité du travail dans ce métier se retrouve dans le secteur institutionnel et commercial, où la demande en main-d’œuvre qualifiée est élevée. Un autre quart des contrats se font dans le secteur du génie civil et de la voirie, un secteur dynamique en raison de nombreux projets à venir; on compte aussi, bien sûr, les développements de condominiums, ajoute Laurend. Le métier de ferrailleur convient aux personnes autonomes, minutieuses et responsables qui ne souffrent pas du vertige. Les perspectives d’emploi sont très bonnes.
[1] Commission de la construction du Québec
En amour avec son métier Quatre ans après avoir obtenu son diplôme, Laurend a l’impression d’être enfin sur son X, et ce, malgré une vilaine chute qui lui a causé une entorse dorsale cervicale en 2021. Il a travaillé sur des chantiers à l’hôpital de Verdun, pour la Société de transport de Montréal, à la construction de ponts…même pour la Tour de la Banque Nationale, un gratte-ciel de 40 étages! Celui qui a aujourd’hui 32 ans et vit sur la Rive-Sud de Montréal se dit qu’il n’aurait pas pu mieux trouver : « Ma job, je l’adore, lance-t-il. C’est difficile, c’est fatigant, mais c’est comme mon gym, mon entraînement quotidien, j’aime ça encore comme au jour 1 et j’ai appris à bien forcer - parfois, on supporte 200 livres sur nos épaules! »
Du racisme dans l’industrie? Le racisme anti-noir existe dans l'industrie de la construction. Laurend se rappelle sa première journée de travail avec un goût amer : « Je me suis fait gueuler dessus et intimider dès mon arrivée. Mais je n’ai plus jamais retravaillé avec l’homme en question et je ne me suis jamais laissé abattre. » Selon lui, chaque entreprise a sa culture de travail, et les choses évoluent dans le bon sens.
Un bilan positif Après avoir commencé à travailler à 34 $ l’heure, Laurend en gagne maintenant 43 $. « J’ai réussi à me sortir la tête de l’eau grâce à ma formation et mon nouveau métier. Je n’ai plus à me préoccuper de problèmes d’argent, les dettes sont désormais derrière moi. »
Les choses ont tourné rondement pour lui depuis qu’il a terminé sa formation : il a maintenant une conjointe, une nouvelle maison sur la Rive-Sud de Montréal, une nouvelle auto et... trois jeunes enfants qui le tiennent bien occupé. « Avoir une famille me motive à travailler fort. À être vigilant au travail et à être un bon coéquipier. Malgré les aspects difficiles de mon métier, je profite de bonnes conditions et chaque jour est une belle journée. »