Littéraire à la plume sociale Annie est née à Québec, dans le quartier Saint-Sauveur, entourée de sa plus jeune sœur, de sa mère, organisatrice communautaire et de son père, enseignant au secondaire.
À l’époque, le quartier Saint-Sauveur est l’un des plus défavorisé de la capitale. En grandissant, Annie y fréquente l’école primaire et secondaire et s’implique activement dans les différents organismes sociaux comme les scouts et le Patro Laval.
Dès la garderie, elle sait déjà quel métier elle souhaite exercer : enseignante au primaire. En secondaire 5, son enseignant du cours “Formation personnelle et sociale” lui offre de participer à une journée carrière dans une école de la Haute-Ville. L’expérience est malheureusement ratée et Annie se rappelle en riant : « J’avais écrit dans mon agenda que je ne passais pas une belle journée ». Désorientée et ne sachant finalement quelle voie choisir, elle décide de commencer ses sciences pures au Cégep Garneau. Avec un TDAH non diagnostiqué, elle tiendra un an, péniblement, avant de bifurquer vers les sciences humaines.
Après trois ans d’études, elle se dirige vers l’Université Laval. Elle en sortira diplômée comme bachelière en travail social. Mais déjà, quelque chose cloche et elle est habitée par le désir de trouver une autre voie, notamment via sa passion pour l’écriture. L’appel du roman, elle y répond et elle commence un certificat en création littéraire.
Cet aspect créatif et cette sensibilité artistique chez Annie, on les retrouvera près de 20 ans plus tard…
Engagement communautaire La littérature est un domaine exceptionnel et attirant, mais devenir autrice demande discipline et persévérance, en plus de ressources financières dont elle ne dispose pas. Sans même avoir terminé un seul manuscrit, la jeune diplômée reviendra vers le milieu communautaire et s’y engagera comme travailleuse sociale. Ses responsabilités ? Elle fera entre autres de la prévention de la violence dans les écoles et du soutien à domicile afin d’aider les personnes âgées à la maison.
Elle passera en tout 10 ans dans les différents CLSC du nord de la ville de Québec . Un métier gratifiant, mais également extrêmement dur sur le plan émotionnel. Avec le recul, Annie se rappelle la charge mentale qui te suit jusque chez toi. Gérer des vies, se dévouer quotidiennement ou accompagner des personnes en grande détresse sont des expériences qui ont profondément marqué Annie.
Réorientation à 35 ans À 28 ans, elle recevra enfin le diagnostic de TDAH qui donnera un nouvel éclairage à son parcours professionnel et qui débutera par une longue période de questionnement. Quelques années plus tard, séparée, avec deux filles de 3 et 5 ans à la maison, Annie décide de démissionner et de se réorienter . Une décision courageuse qui s’avérera gagnante pour la jeune femme de 35 ans.
Elle hésite alors entre deux métiers; développeuse ou bibliothécaire. L’ordinateur ou les livres ? La technique ou la maîtrise ? Après une seule rencontre d’information avec le service de la formation continue du cégep, Annie s’inscrit le soir même pour la cohorte débutant deux semaines plus tard. C’est parti pour une Technique en informatique.
Ses critères ? Quelque chose de concret, un métier qui lui permet d’être elle-même, avec des horaires fixes, et qui lui offre la satisfaction de voir ses dossiers avancer quotidiennement.
Le domaine de l’informatique est large. Il faut rentrer dedans pour le découvrir et dépasser l’image du gars qui code dans son sous-sol.
Annie Gaudreau Desrochers, programmeuse chez Desjardins
Formation continue en Informatique Après plus de 15 ans de carrière dans les milieux communautaires et sociaux, elle reprend le chemin des études au Cégep de St-Foy pour y suivre une Technique en informatique : « J'ai vu qu’il y avait ça au cégep de Sainte-Foy en formation continue. Une partie de mes cours allaient pouvoir être reconnus et c’était une formation intensive sur moins de deux ans, dont six mois de stage rémunéré. »
En cours du jour, à temps plein, du lundi au vendredi, dans une cohorte de 26 adultes âgés de 20 à 40 ans, Annie se lance à fond. « Sur les six filles du groupe, deux finiront la formation dans les délais proposés. Parmi les mères de la cohorte, je suis la seule à être allée au bout et je n’y serais pas arrivée sans le support des autres étudiants. » se rappelle-t-elle.
La pilule de la matrice puis le double choc Au départ, Annie a une vision très romancée de l’informatique. « Je me voyais comme dans le film la matrice. J’allais prendre la pilule rouge et un nouveau monde s’ouvrirait à moi comme par magie! » Pour son stage de fin d’étude, elle trouve une start-up en intelligence artificielle. Ce stage se convertira ensuite en un contrat. Mais au bout d’un an, le gestionnaire leur annonce : « On ferme la division de recherche et développement! Ramassez vos affaires et allez-vous en chez vous ».
Pour la jeune programmeuse, habituée à garder ses jobs, c’est un premier choc. La réalité est bien loin des films de science fiction. Annie commence à chercher ailleurs. En une semaine, elle envoie une dizaine de CV et reçoit 7 demandes d’entrevues, elle en choisira 2 pour lesquelles elle aura une offre d’emploi avant même que la semaine se termine. Ce ne sont pas les offres d’emploi qui manquent dans le domaine de l’informatique.
La demande d’emplois est là, mais pour un programmeur débutant cela n’est pas toujours évident se rappelle Annie, car il est rapidement mis à contribution. « Contrairement à plusieurs métiers où le rôle d’apprenti fait partie du processus d’apprentissage, en informatique, poser des questions ou demander du support est souvent vu comme un manque d’autonomie. » En d’autres mots, en raison de leur charge de travail importante et de la nature plus introverti de plusieurs programmeurs seniors, l’accompagnement des juniors est souvent vu comme un problème. Elle en fait d’ailleurs l’amère expérience.
Le second choc arrive ainsi peu de temps après le premier. En pleine pandémie, elle est renvoyée alors qu’elle continue ses marques comme développeuse Web junior.
Ces premières expériences sonnent Annie. Non seulement la magie n’y est pas, mais elle se questionne sérieusement sur la possibilité de trouver un jour sa place dans cette profession. Est-ce que sa personnalité extravertie et son style d’apprentissage sont incompatibles avec le métier de développeuse ? Devra-t-elle se réorienter à nouveau avant même d’avoir eu la possibilité de prouver de quoi elle est vraiment capable ?
Direction AccèsD chez Desjardins Initialement réticente à rejoindre « une grosse structure », elle finit par rejoindre Desjardins sur les conseils de son conjoint. Elle tente donc l’expérience en tant que programmeuse au service AccèsD, la plateforme de services en ligne qui permet d’accéder à des services bancaires.
Chez AccèsD, Annie s’occupe essentiellement de la programmation . C’est le privilège de travailler pour des grandes entreprises. Elles peuvent avoir des personnes qui vont s’occuper de tâches distinctes : l’analyse des besoins d’affaires, l’architecture des logiciels, le développement, la gestion des infrastructures, les tests qualité-assurance, etc.
La nouvelle employée de Desjardins à qui l’on demandait de faire tout cela dans ses précédents emplois peut désormais se concentrer sur ses tâches et accumuler de l’expérience à son rythme avec le support nécessaire. Elle le reconnait d’ailleurs humblement elle-même : « Je ne suis pas la superstar de l’informatique. Des petits jeunes de 25 ans qui codent tous les soirs en bobette dans leur sous-sol, ce sont des machines. »
Une adulte en reconversion… Il existe un décalage entre ses compétences et son âge explique Annie. « J’ai la maturité professionnelle et la confiance d’une adulte, mais les compétences d’une personne qui débute en programmation. » Annie se rappelle d’ailleurs que cela a pu jouer contre elle lors de ses entretiens d’embauche après le cégep.
Du fait de son âge, certains employeurs tenaient pour acquis qu’elle serait capable de livrer rapidement les mandats et de s’adapter . « Les attentes sont tout d’un coup plus élevées quand on parle à une adulte en reconversion qui a les compétences d’une junior débutant dans son nouveau métier » explique Annie. Elle soutient qu’en réalité, en tant qu’adulte en réorientation, elle aurait plutôt eu besoin d’être accompagnée graduellement dans ses emplois précédents, car ses capacités d’apprentissage ne sont pas les mêmes que celles d’un jeune étudiant.
Les attentes sont tout d’un coup plus élevées quand on parle à une adulte en reconversion qui a les compétences d’une junior débutant dans son nouveau métier.
Annie Gaudreau Desrochers, programmeuse chez Desjardins
Dans un métier traditionnellement masculin C’est son rôle de mère, souligne-t-elle, qui a parfois pu être une source de discrimination. Un exemple frappant ? Alors en recherche de stages, elle débute les entrevues en disant qu’en tant que jeune mère, elle a besoin de conciliation travail-famille. Elle n’en décrochera aucun. Elle ne dira rien lors des 3 entrevues suivantes. Elle les décrochera tous.
« Les besoins des jeunes parents ne sont pas encore suffisamment considérés » souligne Annie. Dans l'un de ses précédents emplois, elle se souvient avoir ressenti beaucoup de culpabilité lors de demandes de congés qui lui ont d'ailleurs été refusées. « Je sentais qu'on promouvait la place des femmes en sciences, mais uniquement dans le discours ». Dans les faits, dès que ses besoins différaient de ceux de ses jeunes collègues masculins c'était problématique.
Programmer est un art Annie travaille dans une équipe dédiée à l’amélioration continue des interfaces Web et développe également de nouvelles fonctionnalités. Ses derniers projets ? La mise à jour de la page d’authentification de l'application Desjardins et l'authentification en deux étapes. Un projet d'envergure. L'application compte près de 97 millions de connexions annuellement.
« Ce que j'aime c'est le code, je fais autant du front-end que du back-end , c’est-à-dire que je m’occupe autant de ce qui est derrière, ce que les gens ne voient pas, que de l’intégration des maquettes plus visuelles. Près de 80 % de ma tâche c'est du code et la revue du code des collègues de mon équipe ».
Le terme front-end désigne les éléments d'un site ou d'une application que les utilisateurs voient à l'écran et avec lesquels ils vont interagir. À titre d'exemple, tout ce que les internautes vont voir sur un site internet, c'est une combinaison de HTML, CSS et JavaScript.
Le terme back-end est un ensemble d'opérations qui ne sont pas visibles pour les visiteurs. Le back-end est hiérarchisé en trois parties, à savoir le serveur ou hébergeur, l'application et la base de données. Le développeur back-end utilise des langages de programmation comme Java, Python et C++ pour mettre en place et configurer le serveur.
Une fois son travail de code terminé, ses coéquipiers et son leader technique (« techlead ») s’assure de réviser la qualité de ses travaux. Pour les tâches visuels, l’équipe de rédaction et de design s’assure que les travaux sont conformes aux maquettes puis, les analyses fonctionnelles et les analyses d’assurance-qualité effectuent une série de tests sur différents environnements afin de s’assurer que la nouvelle fonctionnalité ne contient pas d’anomalies et qu’elle répond aux besoins des membres et clients de Desjardins. Finalement, le leader technique (« techlead ») reprendra la responsabilité de la tâche afin d’en assurer la livraison du produit auprès des équipes dédiées.
Bien rédiger le code, choisir les meilleurs types de composant, s’assurer de respecter le style des maquettes et la disposition des images et des blocs sont des compétences qui relèvent d’une sensibilité plus créative et artistique. Une fibre qui l’a toujours suivie depuis son certificat en création littéraire et qu’elle retrouve dans son travail de programmeuse.
« L’informatique c’est autant mathématique qu’artistique » soutient la programmeuse. La jeune femme résume d’ailleurs que « L’informatique me permet de répondre à mes besoins de travail en équipe, de résoudre des problèmes et d’apprécier le côté créatif ».
Techniques de l’informatique Selon l’Inforoute FPT, le programme d’études Techniques de l’informatique vise à former des techniciennes ou techniciens en informatique qui exerceront leur profession dans les domaines du développement d’applications et de l’administration des réseaux informatiques.
34 cégeps proposent la formation
4 volets d’étude : Programmation, Développement Web, Systèmes d’exploitation, réseau et matériel, Projets d’approfondissement
Salaire horaire moyen d'un technicien en informatique (Programmeur-analyste) : 31,95 $
Dans le domaine du développement d’applications, les techniciennes et techniciens participent à la conception d’applications fonctionnant sur différentes plateformes et en effectuent le développement et la maintenance. Les applications développées sont nombreuses et variées et sont utilisées dans presque tous les secteurs d’activité.
Dans le domaine de l’administration des réseaux informatiques, elles et ils participent à la conception de réseaux et effectuent l’installation, la gestion et la sécurisation des réseaux, des serveurs et des ordinateurs. Leur tâche consiste aussi à assurer le fonctionnement des services Internet et intranet qui y sont liés, tels le partage de ressources, la communication, l’hébergement, la téléphonie, etc.
Conseils d’une pionnière « Les premiers programmeurs étaient des femmes et il est important de valoriser ce métier auprès des élèves du secondaire et du cégep . Le domaine de l’informatique est large. Il faut rentrer dedans pour le découvrir et dépasser l’image du gars qui code dans son sous-sol » soutient Annie.
Les mathématiques sont une matière gagnante pour les filles au secondaire et les métiers liés à l’informatique devraient être beaucoup plus présentés comme des opportunités de carrières. « Dès le secondaire, il faut aider les filles à penser au domaine informatique et à ses débouchés professionnels qui ne sont pas encore assez discutés ».
Le mot de la fin ? Avec un regard rétrospectif, Annie assure qu'une technique est d’ailleurs amplement suffisante pour trouver son bonheur. Il faut arrêter avec le culte de la performance que l’on poursuit jusqu’à l’université.