Daphné Delsemme est née à Mercier sur la Rive-Sud de Montréal. Ses parents, deux photographes, l’encourageaient comme ses trois sœurs, à choisir un parcours académique traditionnel vers l’université : « J’étais une enfant tranquille, j’avais d’excellents résultats, pour toute ma famille, cela allait de soi. » Mais la vie en a décidé autrement.
Dans l’ADN de la famille Aussi loin qu’elle se souvienne, Daphné s’est intéressée aux voitures : « Déjà, toute petite, comme mon père et mes oncles, je connaissais les noms, les marques de voiture. C’est une passion dans la famille. D’ailleurs, mon grand-père maternel était carrossier. »
Au cégep, la jeune étudiante a l’impression de perdre son temps. Peu motivée, elle commence à remettre en question son choix d’étudier en arts et lettres; lors d’une journée d’exploration, elle découvre la carrosserie et décide de s’inscrire au Centre de formation professionnelle à La Prairie.
Réussir sa formation Dans un monde de gars , Daphné a réussi à s’épanouir. Cela ne l’empêche pas de se passionner pour la coiffure, la cuisine, des domaines qu’on associe plus volontiers aux femmes tout en apprenant studieusement le métier de peintre carrossière: « Ce qui m’a plu à mon centre, c’est la formation individualisée en accéléré et l’encadrement offert par mes professeurs. Ils m’ont soutenue dans les bons et mauvais moments. Rapidement, j’ai eu la confirmation d’être à la bonne place, à ma place. »
Au CFP de Verdun, la formation en carrosserie donne la possibilité à chaque élève de toucher à tout puis de déterminer où il va se spécialiser : « Vite, j’ai constaté que j’adorais la peinture, la finition, le polissage, bref, tous les aspects esthétiques. »
C’est important de faire la promotion des métiers liés à la carrosserie, et ce, dès l’école secondaire. Oui, ce sont des métiers physiquement exigeants, mais il y a des méthodes de travail et avec les bonnes techniques et de la force de caractère, tout le monde y arrive.
100 fois sur le métier Daphné termine sa formation avec un stage à la Société de transport de Montréal (STM). On lui offre un emploi aux conditions alléchantes, mais la jeune femme de 19 ans préfère l’offre d’un atelier de restauration automobile où elle se frotte à de gros projets , des véhicules de compétition, des voitures rares ou anciennes entre autres. « Michel Gagné, un carrossier de grand talent, m’a pris sous son aile et m’a permis de me faire la main sur des véhicules extraordinaires. Il a agi avec moi comme un mentor. » Parallèlement, elle a fait de la réparation de coques et de finition sur des bateaux (fibre de verre, matériaux composites, gelcoat ) sur ces temps libres. « Ce sont des compétences abordées dans le DEP en carrosserie », commente-t-elle.
De beaux casse-têtes En carrosserie, même si les gestes pratiqués peuvent paraître répétitifs, la carrossière fait valoir qu’on ne tombe jamais sur le même choc, les mêmes problèmes : « Voir un véhicule très accidenté être remis à son état neuf, c’est assez incroyable. L’étape de la peinture, c’est le côté minutieux du métier, mais aussi le mérite de dire que j’ai contribué au projet. C’est la cerise sur le gâteau, dit-elle avant d’ajouter : en restauration, un travail bien fait, c’est un travail parfait. »
La bosse des affaires En 2010, quand le travail vient à manquer. Daphné ne chôme pas longtemps ; elle démarre un centre d'esthétique automobile et se bâtit rapidement une clientèle fidèle: « Ce fut une période gratifiante, très formatrice cependant que diriger une entreprise, c’est du travail sept jours sur sept, et après quelques années, j’étais un peu fatiguée. » Après la vente de son lave-auto, elle trouve un emploi dans un garage mécanique à titre de conseillère technique. Elle poursuit plus tard une formation en comptabilité qui l’amène à travailler pendant quatre ans comme commis à la comptabilité.
Nouveaux défis Au fil de ces expériences, Daphné entretient un rêve : celui d’être enseignante en carrosserie. « Quand un ami m’a mentionné que le CFP de Verdun cherchait quelqu’un, j’ai sauté sur l’opportunité. » Cette nouvelle aventure lui permet de se surpasser: « J’éprouve beaucoup de plaisir avec mes élèves. Nous travaillons sur des projets inspirants, c’est interactif. Qui a-t-il de plus valorisant que de transmettre son savoir et sa passion? » Elle ajoute à cela que le CFP propose un programme constamment mis à jour, bien arrimé sur les besoins de l’industrie, gage d’une relève compétente.
Où sont les femmes? Au cours des cinq dernières années, les femmes constituaient en moyenne 13,32 % des nouveaux diplômés du DEP en carrosserie. Pourtant, elles ne représentent toujours que 2,5 % des effectifs de débosseleurs et de réparateurs de carrosserie diplômés au Québec.[1] Le peu de fois où Daphné a senti qu’on essayait de la tasser…les commentaires sexistes… elle a préféré éviter la confrontation et continuer à prouver ce dont elle était capable.
Oui, l’industrie de la carrosserie demeure un milieu typiquement masculin, mais cette situation pourrait changer. En effet, selon la Corporation des concessionnaires automobiles du Québec (CCAQ), l’industrie s’interroge sur le recrutement de la main-d’œuvre féminine. Le rapport l’Avancement des femmes dans l’industrie automobile de l'Association des industries de l'automobile du Canada (AIA Canada) et l’étude Besoins et obstacles des femmes et des employeurs en lien avec les conditions de travail et la conciliation travail-vie personnelle du CSMO-Auto proposent des pistes de solution pour attirer et retenir les femmes dans l’industrie. Ces recommandations incluent la modification de la culture d’entreprise afin de la rendre plus inclusive et la sensibilisation de l’ensemble du personnel aux avantages d’une présence féminine sur les lieux de travail.
[1] Corporation des concessionnaires automobiles du Québec
Attirer les femmes À ce sujet, Daphné Delsemme pense que la façon dont nous présentons la carrosserie et la peinture automobile a un impact sur l’attraction de la main-d’œuvre, notamment féminine. « C’est important de faire la promotion des métiers liés à la carrosserie, et ce, dès l’école secondaire. Oui, ce sont des métiers physiquement exigeants, mais il y a des méthodes de travail et avec les bonnes techniques et de la force de caractère, tout le monde y arrive. » Elle propose de mettre en lumière les aspects de la carrosserie susceptibles d’inciter une nouvelle génération à embrasser le métier : travail de minutie, créativité et choix de spécialisations variées.
Le métier de carrossière Les carrossières et les carrossiers, souvent appelés peintres de voiture ou débosseleurs, redressent les châssis des véhicules et réparent les éléments endommagés des véhicules (porte, capot, pare-chocs, etc.). Ils estiment le coût des travaux, remplacent des accessoires mécaniques et électriques et peinturent au pistolet les éléments de carrosserie. Daphné fait mention des qualités requises pour exercer le métier de carrossier soit une personnalité méthodique, méticuleuse et débrouillarde, mais aussi avoir une bonne vision. « C’est un métier stimulant qui exige une excellente dextérité manuelle, un côté artiste et le souci du travail bien fait. Il faut parfois avoir un petit côté ninja pour se faufiler dans les tous les racoins du véhicule. »
Jamais sans ma Audi Même lorsqu’elle n’est pas à l’école, les voitures sont toujours présentes dans le quotidien de Daphné. Sur son compte Instagram, les photos de sa Audi en font foi. « Je suis une passionnée de voiture, mon conjoint aussi, nos amis aussi, nous courons les événements de chars . Il y a toujours une voiture à modifier, à remonter. Ma voiture, c’est comme mon bébé, » raconte-t-elle avec un sourire. 2023 s’annonce une année pleine de projets emballants. Daphné sera entraîneure aux Olympiades des métiers en peinture automobile : « Une première expérience excitante…et sûrement pas la dernière! »