Juliette Gagnon, 27 ans, de Lanoraie, travaille comme mineuse en extraction du minerai pour la mine Casa Berardi, à La Sarre. Depuis 2011, date qui marqua le début de sa transition, elle a enduré un long traitement de changement de sexe, après des années de questionnements dans un contexte social où l’identité de genre et l’orientation sexuelle sont encore sujettes a discrimination. Juliette a ensuite entrepris une réflexion sur son avenir professionnel, ce qui l’a amenée à retourner aux études. Témoignage.
Avant la transformation Née dans le corps d’un garçon, Juliette réalise, à la fin du secondaire et à une époque marquée également par la séparation de ses parents et un déménagement, qu’elle vit la dysphorie de genre. Née dans le corps d’un garçon, Juliette réalise, à la fin du secondaire et à une époque marquée également par la séparation de ses parents et un déménagement, qu’elle vit la dysphorie de genre, une souffrance entre son sexe masculin assigné à la naissance et son identité féminine. « Au secondaire, je me cherchais beaucoup, je me croyais homosexuel et j’étais de plus en plus féminine, se rappelle-t-elle. Je travaillais alors dans la section des cosmétiques d’un magasin Sears, je subissais certains épisodes de harcèlement psychologique. Après l’obtention de mon diplôme, j’ai commencé le cégep, mais j’ai rapidement quitté l’école. C’était une période confuse, tout n’était pas clair pour moi. Je suis déménagée en appartement, à Montréal. » C’est dans la métropole que Juliette commence à comprendre ce qui se passe dans son corps et dans sa tête. Le déclic se fait pendant cette période de liberté.
La force d’être entourée Quand j’ai eu le changement de statut en Juliette, je me suis sentie complète, avec toutes les bonnes pièces, j’ai pu recommencer à vivre et réfléchir à mon avenir professionnel. » Juliette Gagnon Pendant quatre ans, Juliette enchaîne les petits boulots et réfléchit à son avenir. Comme la porte est ouverte, elle parle de sa transition à ses parents, qui la soutiennent. Décidée, elle veut devenir ce qu’elle a toujours été au plus profond d’elle. Elle entame ce processus en 2011. D’abord le traitement hormonal, puis le changement de nom et de statut jusqu’à l’opération de changement de sexe en 2013. « Ce ne sont pas toutes les personnes qui changent de genre qui se font opérer, mais c’était important pour moi, confie la jeune femme. Mon opération s’est bien déroulée, même si j’ai dû rester alitée longtemps. » Malgré les hauts et les bas, les doutes, le questionnement, Juliette confie : « J’ai confiance en moi. Je ne me suis jamais refermée et j’ai toujours été bien entourée par ma famille et mes amis. » Il reste que Juliette qualifie cette période d’enfer, car la transformation lui a demandé toute son énergie.
Recommencer à vivre En 2018, elle voit pour la deuxième fois une annonce faisant la publicité du cours en extraction de minerai au centre de formation professionnelle de la Baie-James à Lebel-sur-Quévillon C’est après cette étape exigeante sur les plans physique et psychologique que les autres aspects de la vie de Juliette ont refait surface. « Quand j’ai eu le changement de statut en Juliette, je me suis sentie complète, avec toutes les bonnes pièces, j’ai pu recommencer à vivre et réfléchir à mon avenir professionnel. »
À ce moment, Juliette travaille en usine. Elle a l’occasion à quelques reprises de conduire des chariots élévateurs. Des amis qui habitent à Timmins, en Ontario, lui parlent de leur métier dans les mines. Juliette les écoute avec grand intérêt. Elle rêve de conduire de la machinerie lourde comme son père, formateur en conduite de véhicules lourds. « J’ai toujours eu une fascination et l’envie de conduire des camions de 45 tonnes. »
« Quand j’ai eu le changement de statut en Juliette, je me suis sentie complète, avec toutes les bonnes pièces, j’ai pu recommencer à vivre et réfléchir à mon avenir professionnel. »
Répondre à l’appel Pour les années qui viennent, Juliette veut continuer de travailler sous terre. Son travail lui offre un bel équilibre entre sa vie professionnelle et personnelle auquel elle tient. En 2018, elle voit pour la deuxième fois une annonce faisant la publicité du cours en extraction de minerai au centre de formation professionnelle de la Baie-James à Lebel-sur-Quévillon. C’est un signe, elle décide de se lancer ! Sa mère a des appréhensions à savoir comment elle s’intégrera dans ce domaine assez traditionnel, mais se rallie au projet de sa fille. Son père l’encourage. Juliette a alors 25 ans, un nouveau métier en devenir et une aide financière d’Emploi-Québec pour en apprendre les rudiments.
Séance d’information, inscription, entrevue, admission. Six mois plus tard, en septembre 2019, la voilà déménagée et en train de s’initier à son métier : « J’ai terminé ma formation professionnelle à Matagami étant donné que la minière était fermée. J’ai par la suite été engagée par un entrepreneur pour la mine sous terre. Je travaillais sur un camion de service. »
Réaliser ses rêves Au centre de formation professionnelle, dans un groupe qui ne compte qu’une autre fille, l’arrivée de Juliette surprend. Son enseignant lui avoue candidement être un peu dépassé, et ne pas savoir quel vestiaire lui attribuer. Elle le rassure en lui mentionnant qu’elle est désormais une fille à part entière, et une fille prête à travailler fort physiquement et à tout donner.
Juliette veut faire tomber les barrières. Elle ne ménage pas ses efforts. « Après plusieurs heures à utiliser la perceuse de 120 livres, j’avais des bleus sur le corps, mais j’étais fière d’avoir été à la hauteur de l’effort demandé », se souvient-elle, par exemple. Elle s’intègre bien dans le groupe de jeunes : « Nous avions tous le même but : travailler dans les mines. Et c’est un petit monde. » Il ne faudra pas longtemps pour qu’elle prouve aux sceptiques qu’elle a les qualités requises pour faire carrière dans le secteur exigeant des mines : « Je le fais pour moi, mais aussi pour les autres qui vont avoir à passer par là. »
Faire tomber les barrières Après l’obtention de son diplôme, Juliette est engagée comme dry-man (responsable du vestiaire-séchoir), un des postes d’entrée dans les mines. Trois mois plus tard, la jeune employée est promue et descend sous terre. « Maintenant j’occupe un poste en ingénierie au service technique sur la ventilation et l’arpentage sous terre. Je m’occupe donc de faire des relevés de déviation de forage (des “cms” et des “boretrack”). Ce poste m’a été offert sans technique minière, j’ai donc sauté sur l’occasion ! »
Il fait chaud, les conditions sont parfois intenses. Je suis souvent exténuée lorsque je finis mes heures de travail, mais fière et avec un grand sentiment d’accomplissement. C’est un beau métier que celui qui nous amène à travailler fort et à nous dépasser. Je trouve cela valorisant.
Un avenir radieux Pour les années qui viennent, Juliette veut continuer de travailler sous terre. À la mine Casa Berardi qui l’emploie actuellement, elle peut se concentrer sur le travail à faire. Les collègues et les supérieurs sont respectueux. Elle veut bien s’installer les pieds dans les minières et gravir tranquillement les échelons. Elle a une conjointe et, à deux, elles envisagent d’acheter une maison. Comme le travail dans la mine est organisé sur un horaire de sept jours de travail suivis de sept jours de congé, Juliette a du temps pour les loisirs, qu’elle occupe avec des activités de plein air, de motocross et de camping. La vie lui sourit.
Pourquoi pas? Avant de raccrocher, on en revient au sujet premier de ce portrait. Comment une jeune transgenre peut-elle arriver à choisir un secteur d’activité si peu réputé pour son ouverture comme le domaine minier? Juliette a décidément les aptitudes pour faire sa place dans ce monde où les hommes dominent. Pour elle, l’idée de mettre des étiquettes homme-femme, masculin-féminin tombe tranquillement en désuétude. Et dans un domaine traditionnellement masculin, comme une mine d'or, il est pertinent de faire évoluer les mentalités, selon elle : « J’ai une attitude positive, une bonne écoute et je sais bien m’exprimer. Je suis féministe et je crois qu’on est toutes capables. Il est vrai qu’il y a un moment où je me suis dit : wow! Je l’ai fait. Ce n’est pas commun, mais pourquoi pas ? »
Ce portrait a été écrit en juillet 2021. Depuis, Juliette a entrepris un processus de détransition pour retourner à son identité de Julien Gagnon. Avec son accord, nous publions tout de même son témoignage dans un objectif d’inclusion, car nous croyons que cette histoire peut rejoindre d’autres jeunes en formation professionnelle et technique.