Kathleen Rousseau, 39 ans, recule aisément son mastodonte devant les quais de chargement de marchandise, elle charge et attache le camion, puis reprend la route, manœuvrant l’imposant camion avec une précision remarquable tout en profitant des paysages. La camionneuse passe facilement une soixantaine d’heures sur les routes du Canada et des États-Unis chaque semaine. Son talent de conductrice, mais aussi la force physique qu’exige le type de camion avec remorque ouverte qu’elle conduit en épate plus d’un. « C’est un travail très physique, estime la routière, forte d’un bagage de 17 ans dans le camionnage. Quand j’ai commencé, j’étais spécialisée en transport de liquide, principalement du lait, et c’était moins exigeant. Mais le transport de marchandise Canada-États-Unis, j’adore. Je ne me lasse pas de beauté de la route, et j’ai fait mien le mode de vie. Moi, j’ai le camionnage tatoué sur le cœur ».
Pénurie…de femmes? Kathleen Rousseau, conductrice de camion, a découvert ses premiers kilomètres sur la route à la fin du secondaire. Si les femmes sont aujourd’hui bien acceptées dans l’industrie du camionnage, considère Kathleen Rousseau, elles ont encore du chemin à faire sur la route de l’égalité entre les hommes et les femmes. Selon HR Camionnage Canada, un organisme pancanadien à but non lucratif proposant des solutions en ressources humaines pour l’industrie du camionnage, les femmes ne représentent que 4 % des conducteurs de camions de transport de marchandises au pays. Selon une étude réalisée en 2016 par l'Alliance canadienne du camionnage, ce secteur, qui compte quelque 300?000 conducteurs, sera en manque d'environ 34?000 travailleurs d'ici 2024. Mais le nombre de femmes augmente peu à peu. Une hausse d’environ 12 % ces dernières années, d’après la Société d’assurance automobile du Québec (SAAQ). Si on se fie aux statistiques du Centre de formation en transport de Charlesbourg (CFTC) rapportées par la Gazette des femmes, environ 10 % des élèves des centres de formation seraient des femmes.
Les femmes ne représentent que 4 % des conducteurs de camions de transport de marchandises au pays.
La mixité dans le transport Une formation suivie en charpenterie permettra à Kathleen Rousseau de participer aux Olympiades québécoises des métiers et des technologies en 2008. Il y a eu des avancées pour les femmes au travail au cours des dernières années, mais les obstacles liés à la discrimination systémique sont bien présents dans la plupart des secteurs, et le transport routier de marchandises ne fait pas exception. Selon une étude pilotée par le Comité sectoriel de main-d’œuvre de l’industrie du transport routier (Camo-Route), on constate encore une division sexuelle des postes, des préjugés persistants, une culture du milieu masculine et homogène et une concentration des femmes dans les métiers administratifs plutôt qu’opérationnels. Kathleen raconte avoir eu jusqu’à maintenant un parcours fluide, sans mauvaises expériences notables.
Retour vers ses premiers amours Les Olympiades furent avant tout un défi personnel pour Kathleen Rousseau qui a pu mettre en pratique ses compétences acquises en charpenterie tout en continuant à pratiquer son métier de conductrice de camion. Père assureur, mère évoluant dans le commerce, sœur aînée qui fait carrière dans la vente, rien ne pouvait laisser présager qu’elle choisirait le camionnage. En fait, à l’adolescence, Kathleen concilie son cours au secondaire tout en travaillant dans les franchises d’un magasin et d’un comptoir de viennoiseries qu’opèrent ses parents. Planche à neige, planche à roulettes, vélo de montagne, la jeune femme affectionne les sports qui bougent. C’est par l’intermédiaire d’un ami camionneur qu’elle accompagne lors de quelques séjours de deux ou trois jours aux États-Unis qu’elle a la piqûre du transport routier. Après une courte formation, Kathleen travaille quatre ans comme camionneuse, mais à 27 ans, elle perd son emploi.
Nouveau métier : charpentière Domaine regroupant plusieurs métiers traditionnellement masculins, La division sexuelle des postes dans le transport routier reste encore toutefois encore trop prégnante. Elle décide alors de se réorienter et débute une formation professionnelle en charpenterie-menuiserie. Pourquoi ce choix? « J’aime la construction. Je suis habile de mes mains. J’ai besoin de travailler dans un domaine où ça bouge et où ce que je fais est utile, raconte-t-elle. J’ai choisi un centre de formation près de chez moi qui offrait une formation de soir ». À son école, deux femmes s’intègrent dans une cohorte d’une vingtaine d’hommes. Un jour, Kathleen constate que son professeur ne l’a pas invité à un projet de coulage de béton, prétextant qu’elle était enrhumée : « J’étais vraiment fâchée d’avoir manqué ce projet qui n’arrive parfois qu’une fois dans le cadre d’une formation en charpenterie, se souvient-elle. Et j’ai bien fait savoir à l’enseignant que j’étais assez grande pour savoir à quel moment j’avais besoin de repos. Je ne me laisse pas marcher sur les pieds ».
De retour sur les routes La mixité dans le transport demeure ainsi un défi à relever. Plusieurs initiatives existent dont celle de Camo-route avec le programme « Conductrices de camions : objectif 10 % ». Son parcours de formation s’est échelonné sur 18 mois. Kathleen qui travaille déjà 40 heures par semaine sur la route, comme camionneuse, sans trop hésiter, prend finalement la décision de poursuivre dans cette voie. Regrette-t-elle sa formation de charpentière? « Aucunement, dit-elle. Je peux aujourd’hui réparer ou réaliser toute sorte de projets sur la maison que j’ai achetée à Sainte Hélène, en Montérégie. Par exemple, je me suis construit une belle terrasse ».
L’aventure des Olympiades Kathleen a participé aux Olympiades québécoises des métiers en 2008. Une aventure qu’elle a jugée « stressante, émouvante, un bel accomplissement » et « où elle a fait de son mieux », ce qui lui a permis de se classer 10e sur 12 participants. Au départ, comme elle suit sa formation de soir, Kathleen et ses collègues de classe ne sont pas conviés aux compétitions locales. Kathleen revendique la chance de se qualifier, si bien qu’on lui fait une place sur l’équipe régionale : « Mon côté compétitif avait le goût de vivre les Olympiades comme un défi personnel ». Kathleen enchaîne avec un entraînement bref, mais intensif afin de compléter certains modules de formation qui l’aideront à réaliser les différentes épreuves de construction : cadrage de fenêtre, charpente de béton, installation d’un plancher de bois franc, pose de cloisons sèches, moulures, etc.
La veille du début des compétitions, la jeune femme apprend que tous les candidats de son école, ainsi que son professeur, qui est aussi son entraîneur, se sont donné rendez-vous dans un bar… sans la convier. Ne faisant ni une ni deux, décidée à être considérée sur le même pied d’égalité, Kathleen se rend sur place, commande un verre et se joint au groupe exclusivement masculin : « Ça ne vous tentait pas de m’inviter? » Le lendemain, se souvient-elle aujourd’hui, mon professeur venait s’excuser de m’avoir exclue.
Mon côté compétitif avait le goût de vivre les Olympiades comme un défi personnel.
Kathleen Rousseau, conductrice de camion
Conductrice de camion : objectif 10% Le programme « Conductrices de camions : objectif 10 % », piloté par Camo-route, a pour objectif d’augmenter la présence de femmes au volant de camions lourds à 10 % au cours des trois prochaines années. Avec ses principaux partenaires, Camo-route travaille à cerner et à éliminer les obstacles qui empêchent les femmes d’accéder en plus grand nombre à l’industrie du camionnage au Québec. L’objectif du projet est de modifier les pratiques des entreprises et des centres de formation en matière de recrutement, d’intégration et de formation pour faire en sorte que davantage de femmes trouvent un emploi dans cette industrie.
J’aime autant porter des bottes à cap d’acier que de porter de jolies robes, image-t-elle. Tranquillement, les femmes s’intègrent dans le métier et on s’éloigne des préjugés.
Kathleen Rousseau, conductrice de camion