Selon Statistiques Canada (2017), seulement 0,02 % des charpentiers et des ébénistes sont des femmes, ce qui place ces métiers dans le top 20 des principales professions à prédominance masculine. Une rareté qui n’a pas empêché Angel Magher de suivre son cœur et ses passions. Au fil des ans et des expériences de travail dans différents ateliers, puis comme enseignante, la Beauceronne est passée maître dans le travail du bois; la confection de meubles artisanaux ou en série n’a pas de secret pour elle, comme la conception de boiseries ou d’escaliers.
De la ferme à l’école du bois En secondaire 4, Angel Magher se lançait déjà sur les voies d’une carrière qu’elle ne quittera jamais : l’ébénisterie. Âgée de 54 ans, Angel Magher se souvient avoir toujours aimé l’école, bien qu’un problème de dyslexie lui ait rendu la lecture et l’écriture difficiles. Septième d’une famille tissée serrée de neuf enfants, elle a grandi à Saint-Odilon-de-Cranbourne sur la ferme que possédaient ses parents. « Tous les métiers « d’homme » m’intéressaient, particulièrement ceux qui font appel aux habiletés manuelles, se souvient-elle. Avec les corvées sur la ferme, tous mes frères et sœurs ont développé ce type de talent. Enfant, je fabriquais des jouets avec des bouts de carton. À l’église le dimanche, je passais des heures à admirer les moulures et à me questionner sur leur faisabilité ». En secondaire 3, à la Polyvalente Veilleux à Saint-Joseph-de-Beauce, Angel fait partie d’une classe d’exploration professionnelle : « Nous nous sommes initiés à différents métiers et lorsque j’ai découvert l’ébénisterie, cela m’a donné un objectif de vie ». L’année suivante, elle suit le cours de menuiserie en secondaire 4 à Saint-Georges.
« Nous nous sommes initiés à différents métiers et lorsque j’ai découvert l’ébénisterie, cela m’a donné un objectif de vie. »
Une fille parmi les gars En 1985, elle est la première fille diplômée en Gabarit et prototypes de l’École nationale du meuble et de l'ébénisterie. Boursière à l’École nationale du meuble et de l'ébénisterie, à Victoriaville, Angel se passionne pour tous ses apprentissages. Elle enchaîne le cours de meubles en série puis le cours de gabarit, qui sont aujourd’hui réunis dans le DEP d’ébénisterie. Toute son attention est concentrée sur les projets et la jeune femme de 19 ans sent vite qu’elle est à la bonne place. En 1985, elle est la première fille diplômée en Gabarit et prototypes de l’École nationale du meuble et de l'ébénisterie. C’est d’ailleurs pendant sa formation qu’elle rencontre l’homme avec qui elle est mariée depuis 34 ans. Au fil des ans, ils ont partagé différents projets reliés à leur amour du bois. Ils ont fabriqué presque tous les meubles de leur maison. Pendant la pandémie du COVID-19, ils ont retapé de A à Z un petit campeur avec lequel ils se baladent dans la région.
En 1985, elle est la première fille diplômée en Gabarit et prototypes de l’École nationale du meuble et de l'ébénisterie.
Résister aux préjugés Au centre de formation des bâtisseurs, à Sainte-Marie en Beauce, désormais enseignante, elle encourage les futures générations, et en particulier les filles à oser et croire en leurs compétences. Être une femme ébéniste dans un monde d’hommes n’a pas freiné Angel et d’aussi loin qu’elle se souvienne, elle a toujours réussi à s’épanouir dans son métier. Naturellement, elle a adopté une attitude discrète, misant sur le travail bien fait, et faisant la sourdre oreille aux moqueries : « Avec cinq frères, j’avais de la pratique », dit-elle en riant. Une chose cependant qu’elle constate : dans un métier à prédominance masculine, on cantonne souvent les femmes dans certaines tâches, et en ébénisterie, cela équivaut à les restreindre à la finition, « car les femmes sont si bonnes là-dedans », a-t-elle souvent entendu : « Ça m’insultait de me faire mettre une étiquette. Les femmes sont compétentes et polyvalentes comme les hommes ».
Apprentissages Les olympiades ? « J’ai adoré les échanges avec les autres enseignants, on s’encourage, on apprend de nouvelles techniques, on se rassure sur certaines façons de faire. » Angel Magher Au cours de ses études, l’été, Angel a la chance de travailler comme apprentie auprès d’un ébéniste qui fabrique des meubles à Saint-Joseph-de-Beauce. « Il m’a transmis tout son savoir-faire artisanal ». Elle est ensuite employée pendant dix ans chez Clermont Grenier, une entreprise spécialisée dans le mobilier de cuisine, où elle réalise les prototypes avant la fabrication en série puis pendant quatre ans, elle apprend une autre facette de l’ébénisterie dans une entreprise qui fabrique des escaliers, mais l'industrie de fabrication de meubles traverse des périodes économiquement difficiles et l’entreprise qui emploie Angel est menacée de faillite.
Transmettre aux jeunes générations L’expérience de juge aux Olympiades fut également formatrice dans le cadre de ses cours au centre de formation des bâtisseurs explique Angel Magher. C’était il y a 20 ans. Angel Magher troque alors l’usine pour les salles de classe et devient enseignante au Centre de formation des bâtisseurs, à Sainte-Marie, en Beauce. Au départ, ce changement de carrière représentait tout un défi pour elle, si bien qu’elle a d’abord décliné l’invitation, avant de revenir sur sa position un an plus tard; elle a dû affronter les cours d’université malgré son trouble d’apprentissage, combattre sa gêne, apprendre à structurer des cours selon les exigences du Ministère, mais aussi lire et s’exprimer en public, ce qui demeure un défi pour celle qui vit avec la dyslexie : « Une de mes tantes m’a aidée avec tous les travaux en français pendant les cours de pédagogie. Au départ, dans mon centre de formation, lire devant un groupe, c’était l’enfer, avoue-t-elle, et pour ce qui est du métier, je me faisais tester par les collègues et les élèves, mais comme mes expériences de travail m’ont permis de toucher à tout, je sais que je suis enseignante en maîtrise de son art ».
L’héritage des Olympiades Angel Magher l’affirme, les Olympiades nous donnent l’occasion de transmettre l’amour du métier et d’assister à de petits miracles : des jeunes qui donnent tout ce qu’ils ont et qui communient à la même passion. Pendant 15 ans, Angel Magher s’est investi dans les Olympiades des métiers comme entraîneure et comme juge lors des compétitions québécoises. Un de ses jeunes protégés, Axel Vocal, s’est même rendu au Mondial des métiers à Londres en 2011. Le goût de la compétition demeure la principale motivation de l’enseignante : « C’est comme si les Olympiades m’avaient permis d’entrer dans les autres écoles et d’observer comment les autres travaillent, de me comparer », explique-t-elle. De cette expérience, Angel confie avoir beaucoup retenu : « J’ai adoré les échanges avec les autres enseignants, on s’encourage, on apprend de nouvelles techniques, on se rassure sur certaines façons de faire. L’expérience de juge m’a aussi permis d’améliorer mes compétences pour évaluer mes élèves, mais surtout, les Olympiades nous donnent l’occasion de transmettre l’amour du métier et d’assister à de petits miracles : des jeunes qui donnent tout ce qu’ils ont et qui communient à la même passion ».
« Les Olympiades nous donnent l’occasion de transmettre l’amour du métier et d’assister à de petits miracles : des jeunes qui donnent tout ce qu’ils ont et qui communient à la même passion. »
Un métier de passionnés L’ébénisterie est un des plus vieux métiers du monde. Les techniques artisanales et les traditions ont traversé les siècles, la révolution industrielle a mené au développement de toute une industrie de fabrication de meubles en bois, mais que l’ébéniste travaille avec des outils simples ou sophistiqués, la passion du travail bien fait est commune aux gens du métier : « Moi, j’aime caresser le bois. Toutes les essences de bois ont un petit quelque chose de spécial, particulièrement celles qui sont indigènes au Québec. J’aime façonner les objets de mes mains et surtout, j’ai une immense satisfaction devant le meuble bien construit, souvent pour toute une vie voire davantage. C’est peut-être que comme je viens d’une grande famille, nos parents manquaient de temps pour nous complimenter, et le beau travail d’ébénisterie impressionne les gens. Ce ne sont pas tous les métiers qui suscitent l’admiration ».
Choisir un métier traditionnellement masculin Comme enseignante, Angel se réjouit de voir des filles se diriger dans son domaine et les encourage : « Prendre un chemin non traditionnel demande une dose de persévérance. Il faut être un peu audacieuse, mais ce qui est surtout important c’est de ne pas mettre de barrières inutiles et croire en ses possibilités. D’ailleurs, je dispute parfois mes élèves lorsqu’ils affirment qu’ils ne sont pas bons ou pas bonnes. Quel gâchis de se dévaluer et de se fermer des portes soi-même! » Selon Angel, les femmes ont tendance à se sous-estimer, et ce particulièrement lorsqu’un travail exige une certaine force physique. « À ma sortie de l’école, à 19 ans, je pesais 105 livres à peine, mais j’étais forte dans ma tête ». Pour elle, la possibilité de vivre une année d’exploration des métiers a fait la différence, et elle souhaite aux filles la chance de vivre des expériences de la sorte.
« Prendre un chemin non traditionnel demande une dose de persévérance. Il faut être un peu audacieuse, mais ce qui est surtout important c’est de ne pas mettre de barrières inutiles et croire en ses possibilités. D’ailleurs, je dispute parfois mes élèves lorsqu’ils affirment qu’ils ne sont pas bons ou pas bonnes. Quel gâchis de se dévaluer et de se fermer des portes soi-même! »