Debby Corriveau évolue dans un monde d’hommes : « J’étais prête pour cela, j’ai toujours été entourée d’amis gars, cependant ça ne veut pas dire que je suis « tomboy », j’aime aussi prendre soin de moi, sortir habillée d’une jolie robe, mais je suis aussi capable d’être sale à cause de la job et d’arrêter tout de même à l’épicerie en rentrant à la maison. En fait, c’est l’fun de pouvoir être les deux! »
La jeune fille de 24 ans se passionne pour la tuyauterie haute pression depuis la fin du secondaire. Ses parents, fiers de son choix, l’ont appuyé dans son cheminement scolaire. « Ma sœur a aussi embrassé une carrière non traditionnelle, elle est conductrice d’engins de chantier, commente Debby. Chez nous, on a du caractère, on est travaillantes! » La soudeuse-tuyauteuse de Pintendre, à Lévis, adore son métier : « Les matins où je dois sortir du lit à 3 AM pour aller faire un travail dans une autre région, je suis contente de me lever, de partir, je rentre travailler toujours de bonne humeur ».
Se qualifier malgré les difficultés De la formation à l’intégration sur le marché du travail, Debby Corriveau est passée par toutes les étapes. Un parcours modèle qui ne fut pas sans obstacles. En racontant son histoire, même si elle dit ne pas se reconnaître dans le discours féministe, Debby tient à dire aux autres femmes que tout est possible, malgré les difficultés qu’elle a rencontrées sur son parcours : « L’école a été difficile pour moi. J’ai des problèmes de lecture. J’ai étudié dans une classe spéciale nommée pré-DEP ». Dans ce groupe à cheminement particulier, en 4e secondaire, Debby a l’occasion d’explorer différentes avenues de formation, de toucher à différents métiers. « C’est là que j’ai eu un coup de cœur pour le métier de soudeuse ». Elle fait ses recherches et décide d’étudier au Centre de formation professionnelle de Lévis, une formation de 1 800 heures qu’elle perfectionne avec un ASP en soudure haute pression de 600 heures. Debby raconte : « J’ai étudié en parcours individualisé. J’étais la seule fille dans une cohorte de trente élèves. L’ambiance était très amicale, les jeunes sont plus ouverts que les anciennes générations. Comme j’ai eu de la difficulté avec le module théorique, ça a été plus long pour moi alors que la plupart des gars étaient déjà en action dans l’atelier. Lorsque j’ai enfin passé à la partie pratique, les modules se sont enchaînés de façon naturelle. J’ai récupéré mon retard et même devancé un bon nombre de gars. J’étais douée ». Aujourd’hui, elle tire la conclusion que peu importe le métier, chacun doit prendre sa place : « Il faut avoir confiance en soi et en ce dont on est capable, ne pas chercher à être dans la tête des autres, mais ne pas avoir peur non plus de demander de l’aide ».
« L’ambiance était très amicale, les jeunes sont plus ouverts que les anciennes générations. »
Debby Corriveau, soudeuse-tuyauteuse
Métier: soudeuse Debby Corriveau a étudié au Centre de formation professionnelle de Lévis, une formation de 1 800 heures qu’elle perfectionne avec un ASP en soudure haute pression de 600 heures. Le travail de Debby consiste à fabriquer et à souder des comptoirs, des tuyaux, des citernes, des cuves, etc. Elle coupe les pièces selon les dessins fournis par les entreprises, elle les ajuste et les joint par soudure : « J’assemble des pièces en fer, en acier, en acier inoxydable, etc. à l’aide de différents procédés et outils, mais grosso modo, il s’agit de les faire fusionner sous l’effet de la chaleur ». Routinier ? « Pas du tout! C’est tout le temps différent selon les besoins des clients. Le job a un côté créatif, artisanal, on veut que ce soit beau. Il y a aussi la satisfaction de voir les choses que tu as fabriquées avec tes mains, et le désir de toujours faire de son mieux ».
Cet emploi traditionnellement masculin - mais qui exige beaucoup d’endurance, de rigueur et de minutie – s’avère de plus en plus accessible aux femmes, considère Debby : « Il faut juste être capable de faire la job. Si on est bon, efficace et fiable, qu’on soit un homme ou une femme, ça ne fait aucune différence ». N’empêche que le métier de soudeuse est considéré comme difficile, en raison des conditions extrêmes de chaleur. « Oui, souder avec une veste de cuir, des gants et un masque par temps de canicule, ça demande un bon niveau d’endurance, admet la jeune femme. Personnellement, j’ai fait 12 ans de gymnastique, du kick-boxing, je suis en excellente forme physique. Et c’est un métier qu’on peut faire longtemps ».
« Le job a un côté créatif, artisanal, on veut que ce soit beau. Il y a aussi la satisfaction de voir les choses que tu as fabriquées avec tes mains, et le désir de toujours faire de son mieux. »
Debby Corriveau, soudeuse-tuyauteuse
Prendre sa place dans un monde d’hommes Le job a un côté créatif, artisanal, on veut que ce soit beau. Il y a aussi la satisfaction de voir les choses que tu as fabriquées avec tes mains, et le désir de toujours faire de son mieux. Sur la page Facebook de Debby, on peut lire : « Ne soyez pas une fille qui a besoin d’un homme, soyez une fille dont un homme a besoin ». Depuis l’obtention de son diplôme en 2015, elle a travaillé dans différents ateliers, elle a été chef d’équipe. Actuellement, elle est la seule femme soudeuse chez Multi Soudure R.D, une entreprise réalisant différents mandats en sous-traitance dans l’industrie alimentaire et dans la construction. Son accès au marché du travail n’a peut-être pas été aussi facile que pour un homme : « Un des patrons que j’ai connus avait vraiment de la résistance à m’engager parce que j’étais une fille. C’est lui qui me l’a avoué. Les premiers temps, il ne me donnait que les tâches peu stimulantes, mais cela s’est placé avec le temps ». Debby se souvient aussi d’un client qui avait des préjugés qu’elle a dû casser grâce à ses aptitudes professionnelles : « Un jour — nous étions trois à l’atelier —, un monsieur conduisant un camion de lait est arrivé pour une petite réparation d’urgence; il fallait entrer souder une fuite dans la citerne. Lorsque ce client a vu que c’était moi qui allais faire la réparation, il a fait toutes sortes de commentaires, répété qu’il n’avait pas le temps de revenir si le job était bâclé, etc. Il a même exigé une photo prise avec mon téléphone à l’intérieur de la citerne pour prouver que la réparation était bien faite. Je l’ai croisé plus tard en allant acheter un café, et à ce moment, il m’a remercié ».
Entre deux passions Actuellement en poste chez Multi Soudure R.D, la jeune soudeuse-tuyauteuse réalise différents mandats en sous-traitance dans l’industrie alimentaire et dans la construction. Dans les prochaines années, Debby aimerait se perfectionner en tuyauterie : « Ce sont souvent des mandats qui demandent d’aller à l’extérieur et je dois rentrer tous les jours afin de m’occuper de mes animaux ». C’est que Debby habite dans une maison voisine de celle de ses parents à Pintendre, une situation qui lui facilite les soins à ses animaux : cinq chevaux, trois veaux, des poules, un chien : « C’est une petite fermette ».
Contexte favorisant la mixité Le future ne s’arrête pas là pour la soudeuse-tuyauteuse qui souhaiterait se perfectionner en tuyauterie. Un pas de plus pour la jeune pionnière de la compétence ! Selon un rapport d’analyse produit par Kristyn Frank et Marc Frenette pour Statistiques Canada1 , la présence croissante des femmes dans des métiers à prédominance masculine a été signalée comme un moyen d’améliorer l’offre de main-d’œuvre dans les métiers qualifiés au pays au sein d’un effectif canadien vieillissant (…) un moyen de créer une main-d’œuvre plus diversifiée, d’accroître la rémunération des femmes et d’utiliser pleinement leurs compétences. Actuellement, la part de femmes dans le secteur du soudage et en soudage haute pression n’est que de 2,14 %. Dans plusieurs régions du Québec, la rareté de la main-d’œuvre technique qualifiée (…) pourrait permettre aux femmes d’investir des milieux de travail habituellement réservés aux hommes : « Quand tu sors de l’école, que tu es une fille et que tu n’as pas d’expérience, tu n’es pas la candidate la plus recherchée, constate Debby, mais heureusement, il manque de monde! » La pénurie de main-d’œuvre constitue-t-elle une occasion pour les femmes de briser une fois pour toutes le plafond de verre des milieux d’emploi où elles peinent à s’intégrer ?
(…) la présence croissante des femmes dans des métiers à prédominance masculine a été signalée comme un moyen d’améliorer l’offre de main-d’œuvre dans les métiers qualifiés au pays au sein d’un effectif canadien vieillissant.
Kristyn Frank et Marc Frenette, Quelle est la situation sur le marché du travail des femmes suivant des programmes d’apprentissage à prédominance masculine ?, Statistiques Canada, 2019
1. Kristyn Frank et Marc Frenette, Quelle est la situation sur le marché du travail des femmes suivant des programmes d’apprentissage à prédominance masculine ?, Statistiques Canada, 2019